C’était la deuxième fois que je participais au Forum des Enseignants Innovants. Il y a trois ans, j’avais été recalée (oups !), comme quoi il y a peut-être un certain tri dans les projets présentés, et s’il y a des degrés dans l’innovation, je n’ai rien vu « d’indigent » cette année.
Pour le déroulement, si vous ne l’avez jamais fait, c’est très simple : on installe sa petite affiche et son petit ordi avec ses petits tracts et on présente son projet au chaland qui erre dans les couloirs de participant en participant.
Le Forum est souvent ponctué par une conférence (cette année, deux, l’une sur le cours magistral qui ne m’a pas laissé un souvenir impérissable, et l’autre de Phillipe Meirieu qui m’a beaucoup plus convaincue. Et pour cause, il faut dire que le bonhomme sait parler, qu’il ne semble pas avoir de notes et que ses punchlines te poussent au tweet (ce qui amène sa floppée de trolls comme les mouettes sur un port ou les poux sur la tête d’un maternelle).
Mais le moment le plus réjouissant du Forum reste celui des ateliers. Alors que tu voulais tranquillement faire un groupe avec tes potes (entre profs qui écument les rassemblements corporatistes, on commence à avoir un réseau, voire des amis), l’Organisation (Messieurs Jarraud, Le Bau et Cabioche pour ne citer qu’eux), te forcent à travailler avec d’autres. (Moi ? Parler à des gens que je ne connais pas ? Jamais !)
Tu traines donc la savate vers ta salle de travail après avoir regardé avec anxiété si tu allais pouvoir te raccrocher à quelqu’un dans la liste comme une moule à son rocher. (Heureusement pour moi, il y avait quelques têtes connues dans mon groupe).
Après les présentations d’usage, tu te mets au travail. L’année dernière, je me souviens de la belle symbiose qui avait égayé mon groupe. Je me rappelle difficilement les noms, mais j’ai gardé en mémoire la concordance de nos aspirations pour l’école de demain. Cette année, j’ai adoré mon groupe, et notre travail commun. Qu’ils soient ici remerciés pour leur bonne humeur.
Cette année, on nous a demandé de réfléchir à ce qu’est un prof innovant. Pas facile !
Même après la fin du Forum, j’y réfléchis encore. D’autant que je ne me sens pas particulièrement innovante. Je vois bien que mes pratiques de classe sont en décalage avec celles que je peux imaginer chez les collègues (je ne suis pas inspectrice, je ne vais pas dans les classes des autres), mais de là à être innovante, je ne crois pas.
Il se trouve que je fais surtout ce que j’aime. Et ce que j’aime sort souvent des clous et est également fichtrement cher. Cela explique aussi que mes projets sont souvent energivores et chronophages. Mais quand on fait ce qu’on aime, quoi de plus normal que d’y consacrer temps et énergie, voire deniers personnels ?
Et c’est en fait là que je veux en venir. Pour moi, un prof innovant, c’est avant tout un prof heureux. Non pas parce qu’il vit une aventure merveilleuse avec ses collègues (les rassemblements de profs ont plus à voir avec le rendez-vous des dépressifs anonymes, martyrisés par les envieux, les incompétents et les frustrés), mais parce qu’il a su accorder une juste place à son travail et à l’ambition qu’il nourrit pour les élèves (le plus souvent, à leur place, d’ailleurs).
Malheureusement, on croise beaucoup d’egos surdimensionnés dans l’entre-soi du petit monde des profs qui se bougent les cacahouètes pour leurs élèves. La faute à l’institution qui ne sait pas valoriser ses forces vives déjà taclées par les parents d’élèves ? Fort possible.
Et je crois que plus on en a, plus on en veut. Être reconnu, n’est-ce pas sur la fameuse pyramide ? J’ai récemment fait une retraite de méditation (onze jours sans ouvrir la bouche à méditer de 4h du mat’ à 21h sans avoir le droit de parler, ni de lire ni d’écrire, complètement seule avec moi-même…si si !). J’y ai trouvé une occasion inédite de prendre du recul sur mon métier, et je me trouve une bien meilleure enseignante maintenant que j’ai…dépriorisé mon travail! Mes copies ne sont pas corrigées ? Elles le seront quand je le pourrais. Mon cours n’est pas parfait ? Il ne le sera jamais. Quand on a mis le doigt dans l’engrenage de la « parfaititude », on plonge dans un puits sans fond et on se réveille avec les touches d’ordinateur collées sur les joues à 3h du matin, un café froid à deux doigts de tomber du bureau.
Redonner sa juste place à notre métier, se soucier des élèves, les élever pour en faire des citoyens mais sans y laisser sa peau, s’investir mais sans oublier le rendez-vous pédiatrique pour sa cadette, voilà pour moi ce qu’est un enseignant heureux. Un enseignant qui est à l’écoute de sa classe, plus dans l’heure précédente qui s’est mal passée, pas encore dans l’heure suivante qu’il n’a pas préparée, mais dans l’instant présent, attentif à ce qui va jaillir. Un enseignant qui sait que les cimetières sont remplis de gens indispensables, et qui a compris que sans sa famille, sans ses mômes qui l’empêchent de travailler 24h/24h, il ne serait pas innovant, un enseignant reconnaissant envers son conjoint, sa conjointe qui assure les tâches ménagères et qui le réconforte quand à 3h du mat’, il s’écroule de fatigue dans son lit, harassé d’avoir mené la bataille des copies.
Bref, un enseignant heureux, c’est celui qui est enseignant, mais pas que. C’est aussi celui qui a laissé son ego au placard.
Pendant ces deux jours, j’en ai rencontré quelques uns, dont Stéphane Agniel, qui a très bien su se taire, ou Lilia Ben Hamouda qui gagne à être connue tant elle irradie par sa joie d’enseigner en maternelle.
Merci aux organisateurs du Café Pédagogique pour ces précieuses rencontres que nous avons faites.
Puissiez-vous tous, chers lecteurs, être un.e enseignant.e heureux/heureuse !